Cest manifestement
une expérience du corps que provoque la peinture
de Dominique Gauthier avec laccrochage,
mieux la prolifération, de vingt-trois oeuvres
récentes - Les (Contre-Raisons) - à la galerie
Vasistas. Une expérience du corps que motive
dabord le dessin de motifs contournés,
échancrures stylisées en éclaboussures de
bande dessinée, comme prélevés par un
Lichtenstein sur les planches anatomiques du
peintre baroque Pietro da Cortona. Ces figures,
retravaillées en relief, vont à la fois
contenir des flaques de peinture, se laisser
déborder par elles. Et cest dans le
mouvement débordé de ces cratères -en fait des
réservoirs, qui au vu de la quantité de
peinture contenue, nen finissent pas de
sécher- que se joue la vie organique du tableau
: une hémorragie de peinture qui redouble au
niveau du tableau la structure rhizomatique des
oeuvres en carré -quand bien même il est aussi
question de rectangles puisquil sagit
de carrés redoublés, comme amputés (non pas
handicapés) de leur moitié en suspens- et leur
accrochage pensé en termes de virus. Le
mouvement est donné : une dynamique de
recouvrements successifs (des plages de blanc
redélimitent les premiers dessins) et
deffractions (les reliefs pointent sous les
couches) pour une exploration chirurgicale de la
peinture. Voir ce quelle a dans le ventre.
Le bilan de santé est excellent : contamination
des motifs, grouillements de lignes,
débordements de couleurs jusquà
lécoeurement, le tout sans craindre
parfois une saine vulgarité revendiquée par le
peintre qui garde -et cest là que
véritablement tout se joue- une distance avec sa
toile. Car cette débauche deffets, cette
dimension mouvementée appuyée par le dessin des
spirales qui inscrivent en sous-couche la figure
horrible de Méduse, les giclures... tout semble
désigner lintervention directe de
lartiste échevelé, rejouer encore une
fois le corps à corps peintre-toile dune
abstraction gestuelle, égotique. Or le travail
de Dominique Gauthier vient décevoir ces
effusions tripales. En intervenant sur la toile
(notamment pour le dessin des spirales) par le
biais dinstruments quil invente, de
prothèses en somme, il déplace la question du
corps afin dexpérimenter la corporéité
de loeuvre, den faire la pratique
chirurgicale (dissection, ouverture, replis, le
tout sous assistance instrumentalisée). Dès
lors, couches-recouvrements-éruptions ne
cherchent pas à créer de la profondeur dans un
souci illusionniste, ni à la révéler sur le
mode de la métaphore mystique, mais den
faire lexpérience pornographique et
médiatisée. Le spectateur na donc rien à
craindre des formats qui le dépassent (plus de 2
mètres) puisque la largeur des rectangles
accrochés verticalement le convoque, lui demande
de sy mesurer, dabandonner ses
certitudes et attentes en matière de peinture
pour enfin se mettre à sa hauteur.
Laurent
Goumarre in Art Press juillet-août 2000
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