Julien CASSIGNOL
Sylvain FRAYSSE
 
 



1er juin - 13 juillet 2017





Pour continuer la programmation de l'année des 20 ans de la galerie, l'accent est mis sur la proximité avec l'invitation lancée à 2 jeunes artistes de notre région. L'un et l'autre traversent des espaces et lieux vides ou abandonnés et témoignent, par le dessin pour Julien Cassignol et la gravure pour Sylvain Fraysse, d'une poétique visuelle de l'absence.

Outre des dessins récents au rotring, Julien Cassignol présente un dessin mural à l’encre de Chine – recomposition de paysages traversés lors de balades autour du site naturel des Orpellières à l’embouchure de l’Orb dans le Bitterois – réalisé en utilisant comme outils, plantes et objets récupérés sur le sable : oyats ou roseaux des sables, saladelles, salicornes et autres algues marines et tessons de céramiques, ficelles et coquillages.

Suite au suicide de Kurt Cobain le 5 avril 1994 à Seattle, la police procéda à la perquisition de son appartement de Los Angeles. Ce sont les images purement factuelles de ce rapport qui composent cette série de 5 gravures intitulée « Rust Never Sleeps » exécutée par Sylvain Fraysse.














  Julien CASSIGNOL
 
 























Les Orpellières. 2017. Encre de Chine sur papier, 138 x 46 cm.


















14/11/2016-29/01/2017-07/04/2017. 2017. Mural, encre de Chine


















14/11/2016-29/01/2017-07/04/2017 (Détail). 2017. Mural, encre de Chine










































Sans titre 1, 2, 3. 2017. Encre de Chine sur papier, 41,5 x 30 cm. chaque














La musique du silence

Tout ce blanc. Et ce vide. Au fond, ce silence. En aucun cas assourdissant mais vrai, mais juste. Avant que de contempler les œuvres de Julien Cassignol et Sylvain Fraysse que la galerie Vasistas, à Montpellier, a choisi de faire cohabiter, on admire déjà l'accrochage dans sa globalité qui montre peu mais suscite beaucoup, et déploie dans ses espaces un rythme, muet, lent, maîtrisé, presque zen.

Liées par l'emploi du noir et blanc, par l'absence de représentation humaine, par leur goût des lieux désolés ou abandonnés, les œuvres des deux jeunes artistes régionaux puisent une élégance, une puissance supplémentaires dans cette mise en scène.

Les œuvres présentées par Julien Cassignol résultent toutes de promenades solitaires répétées sur le site naturel des Orpeillères, à l'embouchure de l'Orb, à Sérignan. " Je marche, j'observe, je me perds... et, au fur et à mesure, je me crée une sorte de carnet de croquis mental puis, en atelier, je réinvente ces paysages... Et j'ai aussi beaucoup écouté les Lachrimae de John Dowland, du baroque ", précise l'artiste au dessin au Rotring
d'une précision étrange, profonde, épurée, qui confine à l'abstraction.

" Dans mon dessin, je cherche une certaine qualité de silence. Le noir et blanc m'y aide, par son dénuement, son absence de chaleur... " Pour le grand dessin mural, expérience nouvelle pour lui, il a utilisé comme outils la cueillette de ses balades : roseau des sables, saladelle, salicorne, ficelles, coquillages, algues... " J'ai gratté, peint, dessiné avec tout ça trempé dans l'encre de Chine... Je voulais faire quelque chose qui soit intéressant de très près comme de loin... Comme c'était une première, ça m'a fait peur au début ; maintenant, j'ai envie d'y retourner, au mural, à la matière ! "

La matière, Sylvain Fraysse la travaille à s'en bousiller les mains, lui qui a choisi de graver sur du Plexiglas, plutôt que toute autre matière noble ou classique comme le cuivre. " C'est l'enfer à bosser, le Plexiglas ", sourit l'artiste qui toutefois ne rigole pas avec sa démarche : sincère, pour ne pas dire honnête, et donc sérieuse, elle consiste à poursuivre par d'autres moyens le geste libérateur du do it yourself né dans l'underground punk et prolongé dans l'alternatif. Sylvain Fraysse est un enfant du rock indépendant et Kurt Cobain, le héros de ses premières saines colères.

Sous le titre « Rust Never Sleeps », l'épitaphe que le chanteur de Nirvana s'était choisie, il montre cinq gravures tirées des photographies réalisées par la police lors de la perquisition de l'appartement du suicidé. Cinq clichés sans cadre, ni allant, ni apprêt. Vues neutres d'un intérieur viré squat toxique, d'une intimité sale et évidée. Mais transcendées par l'art concret, vandale, rauque de la gravure sur Plexiglas en autant de natures mortes.
Ou plutôt de vanités : " La gravure impose un certain rapport au temps et donc au souvenir, à l'oubli. Pour rester honnête avec le sujet, j'ai fait en sorte que le rendu soit poisseux, un peu crade, grunge en somme. " Du reste, entre les nuances de griffes de ses œuvres, entre les signes d'une matérialité torturée, il nous a semblé percevoir la saturation d'une rage inextinguible, au fond de soudaines taches de blanc immaculé. Tout ce blanc. Et ce vide...

Jérémy Bernède in Midi Libre du 13 juin 2017














  Sylvain FRAYSSE
 
 






Série « Rust Never Sleeps », 2017.
Pointe sèche sur plexiglas. Tirage en 3 exemplaires numérotés et 1 EA sur papier Magnani Revere Felt 330gr., 97 x 82 cm. chaque.






















































































Regarder des murs accrochés sur des murs : ce qui pourrait s'apparenter à un voyeurisme ironique ouvre d'abord une porte de la perception faite d'entailles puis d'encre pour plonger de manière sensible, intuitive, dans l'univers de Kurt Cobain. Le résidu artistique de cinq photos des deux chambres de l'appartement de 140 m2 occupé par Kurt Cobain et Courtney Love, enceinte de leur fille, dans le quartier cossu de Fairfax à Los Angeles entre 1991 et 1992, tags, seringues, cigarettes, emballages plastiques et détritus aléatoires éparpillés par un mode de vie erratique se retrouvent ainsi donnés à voir.
Ce choix opéré par Sylvain Fraysse de fixer ces témoignages objectifs, presque anecdotiques et totalement dépourvus de jugement est tout sauf innocent : au-delà du travail de la matière, il vient questionner le rapport à la mort – et à la vie – de l'artiste.
La présence de magazines musicaux (on devine la couverture de Rolling Stones et du fanzine Maximum Rocknroll sous une pile de journaux) et des inscriptions murales lisibles des seuls initiés (le groupe de punk Nation of Ulysses, le nom de Gérard Cosloy, directeur des labels indépendants Homestead et Matador Records) témoignent de l'intégrité de Kurt Cobain et de son amour inconditionnel de la musique qui était partout, tout le temps dans sa vie.
Mais à mesure que l'œil s'habitue à cet univers d'obsidienne, le contexte, les objets éparpillés et les dessins sur les murs importent peu.

La gravure gomme les repères de la réalité pour n'en garder que l'essence, une essence noire et blanche où les contours se font plus tranchés ou au contraire s'effacent selon les reliefs des sillons creusés à la main dans le plexiglas. Bien plus que la reproduction d'une photo, plus encore que le négatif de cette photo, Sylvain Fraysse creuse, sillonne, affirme cette subjectivité, puis par l'addition de l'encre jusqu'à l'impression finale sur le papier, fait ressortir la substance humaine emprisonnée dans ces photographies. Son travail nous fait toucher du doigt un mystère, qui est comme une pierre philosophale de la noirceur. C'est un art qui change l'image en humain, l'objectif en subjectif et dévoile le sensible par cet accomplissement poétique : l'impression d'un regard.

Ces éléments inanimés, tour à tour emprisonnés dans un magma noir et blanchis (bleach, comme le premier album de Nirvana) convoquent des natures mortes – still life en anglais. Ce ne sont plus seulement des lieux, ni des objets, ni même les vestiges d'une rock-star au cœur pur et torturé qui ressortent de ces gravures, mais les traces d'une lutte pour la sincérité. Manifestation bichrome de cet anti-destin que célébrait André Malraux, la gravure inscrit la permanence qu'on ne trouve que dans la mort et dans l'art.
Un fil ténu entre l'éphémère et le permanent est donc au cœur de cette série, et c'est sur ce fil que Kurt Cobain a avancé dans un équilibre fragile, avec pour seul bâton de funambule une sensibilité extrême.

Sous l'effacement des contours et des formes de ce qui a été un moment de la vie du chanteur-guitariste, cette série tient du portrait d'un être ultrasensible sur scène, dans ses textes, ses amitiés et dans son appréhension du succès. Un paradoxe vivant, célébré à travers la mort qui l'obsédait, qui rêvait d'un destin illustre mais n'était pas taillé pour la célébrité. La série s'intitule Rust Never Sleeps (« La rouille ne dort jamais »), un vers emprunté à la chanson de Neil Young Hey Hey My My (Into the Black) citée par Kurt Cobain à la fin de sa lettre de suicide écrite en rouge sur blanc. « I don't have the passion anymore, and so remember, it's better to burn out than to fade away » (« Je n'ai plus la passion, et souviens-toi, il vaut mieux brûler que s'éteindre à petit feu »).
Les gravures de Sylvain Fraysse rendent hommage à cette brûlure, ils en sont la cicatrice : comme le musicien est passé à travers le feu et comme il cassait rageusement ses guitares sur scène, Sylvain a détruit le plexiglas avec lequel il fait corps pour créer. Si la rouille ne dort jamais, la mémoire de Kurt Cobain non plus et la matière de l'artiste encore moins.


Tanguy Blum, mai 2017

























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> MARIE DEMY  > DIDIER DESSUS  > ANTHONY DUCHENE  > TAYLOR DEUPREE  > DANIEL DEZEUZE 1  > 2   > ANDERS EDSTRÖM   
> CEDRICK EYMENIER   > SYLVAIN FRAYSSE  > DOMINIQUE FIGARELLA   > FRIENDS  > DOMINIQUE GAUTHIER 1  > 2   > 3   > 4   
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> SEBASTIEN VONIER   > DAVID WOLLE 1  > 2   > 3    > RAPHAËL ZARKA