ENTRETIEN
Dominique Gauthier - Jean Paul Guarino
 
 

Jean Paul Guarino : En 2001, sur une durée de 6 mois, vos oeuvres n'investirent pas moins de 6 lieux en France notamment les centres d'art contemporain d'Altkirch, Montbéliard et Sète. L’éclatement ou le déploiement de cet été 2004 sur 3 lieux* à Montpellier, pratiquement simultanément et dans une même ville, ne serait-il pas plus sophistiqué ?

Dominique Gauthier : La stimulation que crée l’évènement, le fait que les expositions rebondissent de l’une à l’autre, créent sans doute des analogies avec cette expérience de 2001 mais cela s’arrête là. Pour les trois expositions de Montpellier, il s’agit plus de penser une forme évènementielle à trois dimensions, simultanée, où les pièces - toutes nouvelles- appartiennent à un même espace temps. Les oeuvres ne répondent pas à des économies comparables et proposent des formes visibles différentes,
les lieux sont envisagés par rapport à leur matérialité propre mais se contredisent les uns les autres, quelque chose d’une architecture invisible, qui serait celle absente des trois lieux, devrait pouvoir se constituer par la pensée et le recul après avoir appréhendé les trois espaces. Littéralement, l’espace des trois lieux, l’espace de la ville, l’espace qui sépare les différents ensembles montrés participent d’un mouvement d’instabilité au profit d’une architecture de pensée conceptuelle sur mon projet artistique surdéterminé.

JPG : Le cadre d’une école ou d’une galerie vous sont familiers ; celui d’un lieu d’art comme le Carré Sainte Anne aussi, si ce n’est qu’il soit peu approprié à la présentation de la peinture.

DG : C’est un lieu d’une très grande difficulté à la fois stylistique, historique et d’héritage, mais ce genre de situation m’excite particulièrement. Je trouve que l’incompatibilité est une dimension présente depuis longtemps dans mon travail. Les difficultés sont plutôt des éléments pour rebondir ou pour projeter quelque chose et les complications, autant à l’intérieur de mon projet artistique que dans l’espace et le temps qui peuvent le mettre en évidence sont des facteurs d’excitation plutôt enthousiasmants et dans ce cas présent la difficulté est réelle et manifeste. La faute de goût qu’on pourrait dire d’une église du XIXème, une église qui serait déjà une somme non convaincante d’une histoire du style, comme une église saint-sulpicienne peut l’être, me semble être un bel objet paradoxal pour penser une certaine actualité de l’art et de sa disposition pour l’avenir. C’est une architecture désabusée par une décadence stylistique et c’est un lieu qui se trouve dans un état de fonctionnalité déplacé. Un dispositif de ce type exacerbe le décalage réel de ce que peut être la peinture dans son lieu d’exposition.
Il y a une possibilité de surenchérir sur les désagréments ; la force d’opposition que le lieu produit, m’engage à finalement rentrer dans un rapport de force et à faire entrer la peinture par excès, par effort et je pourrais dire synthétiquement que cela correspond à l’attitude que j’ai en général lorsqu’il s’agit de faire des oeuvres ou de les exposer.

JPG : Vous avez donc envisagé un rapport de force avec ce lieu.
La monumentalité peut être une réponse mais vous voilà aussi avec une concurrence colorée, celle des vitraux.

DG : La monumentalité ou la présence de l’espace amplifiée est une chose que j’aborde généralement frontalement tout en cherchant toujours à trouver un point d’équilibre ; souvent cela passe par des pièces monumentales mais ce n’est pas toujours la seule solution. Ici, au delà de l’ingratitude stylistique que j’ai déjà évoquée, il y a cette étrangeté colorée des murs de vitraux où prendre la mesure de ce rapport coloré m’amène à décider à le dominer c’est à dire à sur-colorer l’église. Il ne s’agissait pas de rentrer dans un retrait et tenter de trouver une place aux oeuvres mais que les oeuvres poussent l’église à une disparition et donc créer une surenchère excessive par une mise en couleur totale de l’église avant que les tableaux ne s’y installent.

JPG : Dans vos récents catalogues, Christine Buci-Glucksmann évoque une abstraction impure et complexe en la classifiant dans une post-abstraction, Yves Michaud dit que vous inscrire dans la post ou la super abstraction n’a pas bien d’importance préférant lire vos peintures au travers d’un grille poétique. Frédéric Valabrègue, tous sens alertés, rencontre une peinture qui commence par suspendre le jugement et qui s’impose comme le corps de la chose mentale. Trois regards personnels et visions légitimes pour chacun des trois lieux peut-être ?

DG : Je ne retiendrais pas le label super abstraction, formulation venant des États-Unis en passant par l’Italie et adopté ou adoptable comme élément pour repérer quelque chose, mais ce que peut dire Christine Buci-Glucksmann sur la complexité, le dysfonctionnement de la forme et de son héritage est tout à fait juste. Yves Michaud, et j’y suis très sensible, contredit élégamment cette inscription dans le temps et dans une histoire de la peinture abstraite qui fixerait une limite de lecture au projet que je développe. Le saisissement, l’arrêt, l’évènement de surprise que repère et décrit Frédéric Valabrègue face à mes tableaux est certainement ce silence actif, avant que la pensée ou la rationalité ne s’installe, où la perception est comme hypertrophiée mais glacée devant quelque chose d’inattendu qui entrerait en matière. Et, il est vrai que dans chacune des trois expositions de cet été, il y a quelque chose de la surprise, du décalage qui je l’espère met le spectateur dans un moment d’ in-appréciation.
Les trois propositions ont été pensées comme produisant une espèce de déroulé, mais à chaque fois l’une n’a pas pour fonction d’expliquer l’autre mais plutôt de la complexifier voire de la contredire, permettant une lecture globale de l’ordre de la synthèse.

JPG : Les premiers Hostinato datent de 1991 et sont toujours à l’œuvre. Les Réponses, vos récentes peintures sont-elles héritières des Arlequinades de 92, elles-mêmes réactions aux Hostinato ? Est-ce plus simple ou plus complexe que cela ?

DG : Souvent des oeuvres à caractères squelettiques, plus dessinées, rendent obligatoires presque simultanément des oeuvres beaucoup plus lourdes, excessives, chargées et les unes et l’autres enregistrent alors un dialogue de construction. Les Hostinato, ont été jusqu’à présent l’espace d’une relative permanence ; le principe ayant été établi, j’ai pu le développer à quelques variations près sans le remettre en question. A ce jour quelque chose du principe de l’Hostinato, réactivé, est en train de se déplacer subissant une certaine torsion. Les différences du principe, plus ébouriffé, coloré et exubérant, des Arlequinades et des Réponses sont plus manifestes. Les Réponses sont un évènement d’une très grande simplicité à la fois visuelle et technique mais d’une grande complexité de pensée et leur principe s’adresse directement aux Hostinato et je souhaiterais qu’ils trouvent, pour un long moment, ce même degré de permanence. Le principe des Hostinato est cette fois-ci, à Vasistas, pensé spatialement différemment et sous l’influence et l’incidence d’un voisinage d’œuvres, assez austères aussi, mais étrangères. Au Carré Sainte Anne, les Réponses par un excès manifeste voire une grossièreté installent, je pense, définitivement le concept du travail. Hostinato et Réponses, supposant l’un et l’autre une méthode, une construction, un édifice, un programme, n’ont que des différences mais leur confrontation, leur réunion, l’exposition simultanée de leur deux principes édifient quelque chose de très commun.

JPG : J’ai aperçu dans votre atelier des Réponses blancs. L’abandon de la couleur est-il un test de validation du principe pour justement transporter ces tableaux dans l’intemporalité des Hostinato ?

DG : Tenter l’économie de la couleur, qui crée l’évènement, le caractère et la typologie aussi, c’est effectivement tenter la vérification du principe et sa capacité à être opérant dans toutes les dimensions possibles ; et basculer dans l’inversion de ce que les Réponses ont produit me semble être l’écart maximum atteignable de ce projet.

JPG : Vous aviez écrit : " La peinture c’est l’éternelle histoire d’un mensonge visuel d’où jaillit la pensée." Même si c’est le préambule constitutif de tout votre travail, en faisons nous notre conclusion ?

DG : Je ne me souviens pas avoir dit cela ; mais je trouve ça pas mal... Je crois que j’ai toujours eu cette attitude à passer par cette expérience de la peinture pour apercevoir, voir peut-être, quelque chose autre. Cette présence du tableau qui fait vraiment évènement, qui insiste sur sa propre visibilité, serait l’état d’un faux semblant, mais immanquable et dont il ne faut pas se priver pour se déplacer au-delà du visible.

JPG : Et si dans votre formulation on change peinture par couleur soit : la couleur c’est l’éternelle histoire d’un mensonge visuel pictural d’ou jaillit la pensée...

DG : A partir de quelque chose qui serait la séduction de la couleur et l’absence de couleur on pourrait prétendre à ce que les deux dispositions disent en fait la même chose ; en aucun cas je voudrais trancher et me dispenser de la couleur pour soi-disant créer un absolu. Le projet dépasse sa matérialité et si la non-couleur vérifie le principe d’apparition, raison de plus pour utiliser la couleur. Déraisonnablement...



* Carré Ste Anne, École des Beaux-Arts et Galerie Vasistas


entretien in offshore # 5 - juin 2004






 

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